Dans notre métier de photographe de montagne, il y a des contrats pour certains clients qui sont plus marquants que d’autres. Travailler pour produire des visuels pour le nouveau casque Sirocco de Petzl en 2016 fait partie de ces opportunités.
Pour tous les grimpeurs et alpinistes, Petzl est la marque de matériel incontournable. Qu’il s’agisse de lampe frontale, mousquetons, piolets, crampons, baudriers, cordes … ou casque, même si on n’a pas de matériel de la marque, tout le monde la connaît dans le milieu. Il s’agit quand même du leader mondial sur plusieurs segments de leurs (vastes) gammes.
Tout a commencé par un coup de fil à leur responsable de communication pour prendre des nouvelles de leurs projets et parler des nôtres, et cela s’est fini par la mise en lumière d’un besoin urgent de photos de haute montagne.
Comme souvent ils savaient déjà avec qui ils voulaient faire ces images, et coup de bol je connaissais plutôt bien Jeff puisque l’on avait passé dix jours à travailler ensemble au Canada l’hiver précédent pour ses sponsors Rab et Crosscall. Il est toujours plus facile pour un photographe / vidéaste de travailler avec des gens déjà connus. En montagne les barrières de la relation amicale et professionnelle sont souvent floutées, il faut dire que l’on ne triche pas avec les caractères quand il fait froid, nuit, que l’environnement est relativement hostile et les nuits courtes et inconfortables. J’exagère un peu mais l’idée est là, il vaut mieux bien s’entendre au préalable que se découvrir par -20° pendus au bout d’une corde.
“en montagne les barrières de la relation amicale et professionnelle sont souvent floutées “
J’étais donc très content de prendre contact avec Jean François Mercier, athlète Petzl, secouriste au PGHM et fine lame du dry tooling, une technique d’alpinisme moderne (ou de grimpe selon les chapelles) qu’il aime mettre en œuvre pour ouvrir des itinéraires très techniques sur les faces au dessus de Chamonix où il vit.
J’ai connu Jeff du temps où il appartenait au DTS, une association toujours dynamique qui organise des compétitions de dry tooling pour promouvoir cette pratique méconnue. C’est également dans ce vivier de forts grimpeurs que j’ai connu le jeune Paul Romain sera le second de cordée de ce shooting, à 17 ans à peine il pouvait déjà se vanter de sacrément bien savoir tenir ses piolets, une compétence nécessaire pour être en mesure de suivre Jeff dans une de ses voies. J’habitais à l’époque à un jet de pierre du site de dry le plus important du monde, l’Usine, à côté de Grenoble, et j’avais profité de l’esprit bon enfant de leur événement annuel pour venir faire des photos et rencontrer du monde. Il ne faut jamais hésiter à se déplacer sur des événements pour agrandir son carnet d’adresse et rencontrer du monde face à face, c’est une priorité absolue pour tout aspirant photographe pro.
Jeff, toujours motivé, me propose plusieurs voies sur lesquelles on échange du point de vue de l’intérêt esthétique et de la complexité à shooter. On arrête ensemble une liste courte et je communique cette liste à mon contact chez Petzl en pointant le type d’images que l’on pourrait y faire. En quelques aller-retour on définit une voie qui nous paraît plus intéressante que les autres au vu des conditions du moment en haute montagne mais voilà, pour Jeff il est nécessaire d’y aller non pas un mais deux jours consécutifs pour en ramener des images intéressantes. En plus cette option tranquillise beaucoup le shooting puisqu’elle élimine la menace de rater la dernière benne de retour dans la vallée. On aura plus de temps et on pourra travailler de manière moins stressée, une logique bonne à prendre en haute montagne ou tout est un peu plus compliqué avec l’altitude, le froid, la nuit.
Le jour J arrive et on se débrouille pour ne pas rater la première benne du téléphérique de l’Aiguille du Midi, porte d’entrée express pour la haute montagne chamoniarde. Dès l’arrivée à 3842m je rentre dans ma peau de photographe un peu stressé de travailler pour un client aussi prestigieux et j’ouvre mentalement mon œil de photographe.
C’est-à-dire que je regarde absolument tout autour de moi : la lumière, les gens, la situation, mes athlètes, j’envisage chaque moment en termes de cadrage, de composition, d’opportunité photographique. C’est cet état d’esprit qui fait progresser quand on a un boitier sur soi lors d’une sortie loisir, même si l’on ne s’en sert pas, c’est ce qui permet d’éduquer son œil et de limiter les occasions manquées une fois en situation de shooting. C’est aussi mentalement épuisant et c’est ce qui rend une journée de shooting aussi dure, c’est pourquoi il vaut mieux être affûté physiquement et reposé mentalement quand on est photographe de montagne. Non seulement il faut évoluer en sécurité dans un milieu parfois très difficile, mais il faut en plus ramener les images pour lesquelles on est payé, pas question de revenir la semaine suivante !
“Cela vous donne une idée de tout ce à quoi il faut penser une fois l’œil dans le viseur “
Dès la descente de l’arête, on trouve quelques cadrages sympas sur proposition de Jeff et Paul. C’est ce qui est sympa dans la relation aux athlètes : il n’est pas rares qu’habitués aux shooting ils soient force de proposition, et souvent à des moments ou sur des points de détails auxquels je n’aurais pas fait attention, concentré comme je peux l’être par une toute autre idée.
La marche d’approche est ensuite rapidement avalée, surtout une fois au niveau du col du Midi du nécessaire à bivouac, et comme prévu on est rapidement à pied d’œuvre pour repérer la voie en détail et surtout fixer les cordes statiques pour que je sois rapidement mobile le lendemain.
Du coup c’est sans pression que je commence à mettre en boite déjà pas mal d’images en gardant en tête le cahier des charges de la marque : donner une idée de légèreté, montrer le vide sans accentuer la difficulté (déjà bien élevée), faire quelques gros plans, etc. Il faut également respecter certaines règles très strictes quant à la manière de faire un relais ou d’accrocher tel accessoire alors que dans les faits plusieurs méthodes peuvent être considérées comme correctes. Mais Petzl a une position de prescripteur en matière de sécurité et ils ne transigent pas sur la manière de mettre en scène leur matériel, ce qui est compréhensible.
Cela vous donne une idée de tout ce à quoi il faut penser une fois l’œil dans le viseur, suspendu en plein vide à 3500m d’altitude … c’est dans ces moments là que l’on est plus serein de travailler pour un client intelligent et d’avoir deux jours pour faire le travail.
C’est avec le sentiment du devoir déjà partiellement accompli que l’on rentre au soleil couchant vers en direction du refuge des Cosmiques hélas fermé. Direction l’abri Simond déjà pas mal occupé par des cordées de diverses nationalités, au moins on n’aura pas trop froid. Je profite de la nuit pour faire quelques timelapse et essais pas tous très réussis de photos sans flash dans l’abri proprement dit et au lit !
Le lendemain on décolle avant l’aube pour avoir le maximum de temps dans la voie et profiter si possible des premiers rayons lors de la marche d’approche. Cette fois je connais les premières longueurs et peut rattraper quelques images dont je n’étais pas très satisfait la veille, et le vide se creusant on arrive rapidement aux dernières longueurs dans une ambiance magnifique.
C’est là, au bout de plusieurs heures d’effort (vive la remontée sur corde à plus de 3500m), pendu plein gaz que je ressens un profond sentiment d’accomplissement. Je suis totalement concentré sur mes images, je sens et j’accepte pleinement cette pointe de stress liée au vide, j’ai le sentiment d’être au bon endroit, au bon moment et avec les bonnes personnes, je vis pleinement la satisfaction de faire du bon travail, là je prends un pied total !
Le temps passe vite quand on s’amuse même par -15° et c’est l’heure de plier si on ne veut pas rater la dernière benne. Les rappels s’enchainent sans histoire et après l’interminable plat du col du Midi c’est de nouveau la grosse punition que cette remontée vers l’Aiguille du Midi. Je suis mal acclimaté, mon sac est lourd, je suis fatigué de ces deux jours intenses et une fois de plus c’est à l’état de loque que j’atteins le fameux tunnel de glace. Une fois de plus ma fierté en a pris un coup mais je m’en fous, je sais que le boulot est fait !
Une fois déchargé du matos je récupère rapidement et on se paye le luxe de remettre quelques images de manipulation des réglages du casque en boîte. Enfin c’est le retour dans la vallée au milieu des touristes inconscients de la magie de passer deux jours en haute montagne
Je vous passe les longues heures de tri puis de développement mais tout ce qui compte c’est que le client était satisfait, et alors que j’étais essentiellement engagé pour faire des images d’illustration, quelques rushes vidéo viennent tout juste d’être exploités pour la vidéo promotionnelle du produit.